LES FRONTONS
Appartenant à un particulier, le fronton du « Brun », situé Place Lamothe est bien spécifiquement Angloy. Fronton célèbre qui a ses titres de noblesse, car il vit plusieurs souverains assister à de mémorables parties entre de grands champions de la Pelote.
Il a une histoire que voici:
Conseiller Municipal et Secrétaire Général de la Mairie d'Anglet, M.Bernard Danglade avait toujours été séduit par le jeu des grands pelotaris qu'il voyait à Cambo. Ayant notamment assisté au championnat qui opposa le grand Arrué, champion du Monde au jeune Apestéguy (plus tard « Chiquito ») qui lui disputait ce titre et... qui remporta la victoire ! , il résolut de construire un fronton dans sa propriété achetée vers 1841, Place Lamothe qu'il tenait de sa belle-famille et où il avait installé un bureau de tabac-épicerie.
A cette époque, la pelote avait perdu beaucoup de son intérêt à Bayonne. Il n'y avait que le « Trinquet de Saint-André » qui donnait des parties. N'avait-on pas vu le 13 février 1701 le petit-fils de Louis XIV, Philippe V d'Espagne aller jouer à ce Trinquet avec ses deux frères; et, plus tard, le 26 juin 1755, Pierre de Lesseps ne fait-il pas le récit d'une partie de pelote jouée la veille à la Place Grammont ?
Mais M.Bernard Danglade avait vu juste, comme la preuve en fut donnée sans tarder. Le fronton fut construit dans le verger du Brun et l'inauguration en eut lieu le 1er août 1899.
. Les parties en présence étaient le redoutable Arrué et Chiquito, jeune garçon de 17 ans, qu'il n'est pas inutile de présenter au lecteur. L'enjeu était de taille, il s’agissait d'une revanche; Arrué voulant reprendre son titre.
Joseph Apestéguy était né à Cambo le 10 mai 1881, d'une famille de modestes cultivateurs, dont le père était facteur. Il y avait 14 enfants, 10 garçons et 4 filles.
Tout jeune, groom dans un hôtel, il allait à la gare chercher les voyageurs et leurs bagages: et, dès qu'il le put, avec les pourboires ainsi récoltés, il acheta une grande chistéra, une paire d'espadrilles et courut au fronton. A 14 ans déjà, il était un des plus agiles des jeunes pelotaris de Cambo; à 15, il égalait les meilleurs joueurs du pays et c'est alors qu'il reçut de ses compatriotes le surnom de « Chiquito ». Déjà, on vantait son bras, étonnant, sa souplesse, son coup d'œil; et, un dimanche, remplaçant au pied levé un des deux meilleurs joueurs du pays basque, il fournit une partie fantastique qui eut un retentissement énorme dans le pays. Mais il avait perdu sa place car, pour assister à la partie il avait abandonné voyageurs et bagages à la gare!
Il avait donc 17 ans lorsqu'il se trouva au Fronton du Brun en face d'Arrué, qu'il battit de nouveau !
Pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître qui donna, dès le début, un grand éclat au Fronton d'Anglet ! M.Danglade offrit alors au nouveau champion 100 F. par partie, ce qui surpassait de beaucoup les cachets habituels.
Chiquito joua sur ce fronton devant le roi Léopold de Belgique, la Reine Nathalie de Serbie, le roi d'Espagne et Edouard VII d'Angleterre. Ces parties amenaient à Anglet, outre l'aristocratie de la région, de véritables foules d'enthousiastes; le tramway organisait un passage le long de la route. Nombreux sont encore ceux qui se souviennent de ces jours glorieux.
Le 13 mars 1909, Chiquito joue devant le roi d'Angleterre, comme en témoigne la reproduction ci-dessous: Edouard VII le félicite en présençe de M. le Barillier, maire d'Anglet et M. Danglade. Le roi, qui avait déjà assisté ailleurs à d'autres parties, fut si impressionné par son jeu, qu'un jour il lui demanda à brûle pourpoint s'il pourrait vaincre en Angleterre. – « Certainement, Majesté. » - « Eh bien ! , je vais faire édifier un fronton à Buckingham Palace et vous serez le professeur de la Cour d'Angleterre. Vous verrez que bientôt toute l'Angleterre jouera à la Pelote basque! ». Quel honneur pour Chiquito et pour celui qui avait permis ce succès ! Hélas, deux mois plus tard, Edouard VII mourait, et il ne fut jamais plus question pour les Anglais de pratiquer ce noble jeu.
Durant toutes ces années, le jeu de Chiquito s'était amplifié et il était devenu Champion du Monde toutes catégories. Il avait voyagé en Argentine, au Brésil, en Egypte même; il connut l'amitié de grands artistes, de peintres, de poètes, de pensionnaires de la Comédie Françaises et de têtes couronnées qui l'invitaient à l'Hôtel du Palais après avoir assisté aux rencontres du Brun . Il était demandé de tous côtés et, partout, on lui fit des ponts d'or. Mais, âme simple, il ne voulut pas compliquer sa vie. La fortune ne l'intéressait pas et, seules, comptaient pour lui sa pelote et sa chistéra. Il mourut pauvre, le 27 décembre 1950.
Outre l'incomparable ténor basque, Ferdinand, qui se fit entendre au Brun mars 1909, on y vit Rothschild qui, au cours de parties, marquait les points en chantant en basque. On y applaudit aussi à diverses reprises les pelotaris suivants qui donnèrent de très belles parties avec ou sans Chiquito : dans le camp français, à Chistéra: Trecot, Diharce, Lemoine, etc... dans le camp espagnol: Eloy, Ayastaren, Chico d'Irun, Zapaterite, Embril. Pour la main nue: Dongaïts, Léonis, Chabatané, etc...
Sans compter ces grandes parties de championnat. Le Brun devint le rendez-vous de nombreux amateurs de tous milieux. Les membres de l'aristocratie, le vicomte de Contade, le marquis de Salamanca et sa sœur, le baron de l'Espée, Christian d'Elbée, mort au champ d'honneur en 1914, Bertrand d'Elbée et leur sœur, le grand écrivain André Lichtenberger, de nombreux étudiants dont les frères Prévot, Charles et Pierre qui se mesura aussi avec des champions. Les amateurs de toutes classes étaient bien reçus et jouaient avec M. Danglade et sa fille Léontine.
Depuis 1960, le Fronton historique du Brun a été mis à la disposition du Syndicat d'Initiative d'Anglet. Souhaitons qu'il retrouve, dans les jours à venir, sa gloire d'antan en y attirant par le jeu si élégant de la pelote, à défaut de têtes couronnées, la foule de plus en plus nombreuse des estivants.
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