Edité en 1947

en Belgique

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MOIS D'AUTOMNE

 

 

Vous le prendriez facilement pour un Basque, ce jeune homme aux cheveux noirs qui, dans les jolies rues de Ciboure, marche d'un pas rapide. Le port avec sa longue jetée, des en­fants aux jambes nues juchés sur le parapet, la petite église espagnole, si sombre et si fervente. la rue de l'Escalier... Les gamins qui, sur la place, s'exercent à la pelote, se dérangent à peine pour le laisser passer et leurs mères, du seuil de la porte, répondent à son sourire. N'est-il pas l'un des familiers du quartier?

Oui, un Basque... Bien qu'il n'y ait qu'un an seulement qu'il a quitté la Belgique (est-ce possible?). François se sent chez lui, au pied de ces montagnes, parmi ce peuple qu'il aime et qui l'a adopté. Que de fidélité ne l'entourent-ils pas, de leur côté, les anciens de la Ligne comme les nouveaux venus: Florentino, Cataline, Gracie. Esteban, et Marthe l'aubergiste, et Mlle Léontine, l'épicière du « Fronton »,qui cache les papiers, et Martin chez lequel il loge, et le Docteur, leur complice à tous? En ce jour, s'il est si pressé, c'est qu'il doit rencontrer, à la « Maison du Roi», Pachi et Manuel qui l'attendent , et, chacun sait que les Basques sont toujours exacts.

Voici, le long du quai, le cottage où vécut Ravel, puis la place de Saint-Jean, avec, aux deux extrémités, la Maison du Roi, et celle de l'Infante. Louis XIV et Marie-Thérèse y passè­rent les journées qui précédèrent leur mariage: non loin de là se trouve l'église dont derrière eux, le jour des noces, l'on mura la grand’porte, pour que nul ensuite n' y pût plus passer... Hélas ! La Maison du Roi est aujourd'hui un café, rendez-vous ordinaire des membres de la Ligne, et voici à la terrasse les deux jeunes gens.

 

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LE MOIS DE MARS

 

Les semaines qui suivent sont toutes noires. A Paris, plus rien ne reste. Deux personnes, à Anglet, se rongent, d'impatience.( La sœur de Nadine a quitté l'épicerie de Mlle Léontine où elle logeait depuis un mois; elle habite à présent la maison de pierres grises; cela signifie que Tante Go l'a adoptée.) Chaque matin, on échange la même petite phrase mélancolique :

      Pas de nouvelles?

      Rien.

Hélas! La seule nouvelle qu'apporteront ces tristes semaines, ce sera celle d'un nouveau deuil... Le 28, à leur tour. Paul. Robert et leur compagnon Aimable sont tombés sous les balles au Mont-Valérien. Ils avaient été condamnés à mort quelques jours auparavant, mais on avait tant d'espoir de les sauver! Eux-mêmes ne croyaient pas que cela irait si vite... La veille encore Jeannette, une amie de Germaine, avait pu les voir. Ils lui avaient demandé des souliers de cuir. «pour le cas où ils seraient envoyés en Allemagne»... Compagnons, vous n'en aurez plus besoin! La Ligne Comète compte à présent quinze morts.