RESEAU COMÈTE                                                                           

pages 388-389                                         

 

« Surpris par une patrouille, Florentino fut atteint d’une rafale de mitraillette, et reçut deux balles dans la jambe droite, plus une balle dans la cuisse, et une autre dans l'omoplate. Grièvement blessé, il tomba, toutes ses pensées allant vers le courrier dont il était porteur, et qu'il eut la force de glisser sous une pierre. Mais il pensa: qu'en venant le ramasser les Allemands bougeraient peut-être cette pierre. Alors, afin d'empêcher cela, il eut le très grand courage de se faire tourner sur lui-même de façon; à tomber dans un ravin profond d'une vingtaine de mètres. Roulant de rocher en rocher, il alla juqu'au fond, et ce fut là que les Allemands le trouvèrent. Transporté à Hendaye, il y subit un interrogatoire auquel il ne répondit que par des monosyllabes incompréhensibles, donnant un faux nom, basque bien entendu. Dans l'espoir d'en tirer quel­que chose, les Allemands le firent admettre à l'hôpital de Bayonne. Dès que nous le sûmes, mon mari et moi déci­dâmes de l'en sortir.

« Il fallait user de grandes précautions, car au moindre soupçon les Allemands auraient transféré notre bon Florentino ailleurs. J'ai cherché quelqu'un qui aurait la possi­bilité d'entrer à l'hôpital sans éveiller l'attention, et l'ai trouvé en la personne de Mme Lamarque, sœur de notre chère Léontine Danglade, qui  avait le titre de dame visi­teuse. Mme Lamarque a rendu visite au directeur de l'hôpital, mais est revenue en disant: « Impossible de le mettre dans le coup! En amenant le prisonnier, la Gestapo lui a dit qu'il en répondait sur sa tête, et lui a remis un bulle­tin. »

«- Eh bien, ai-je répondu, faites-lui peur, vous aussi ! Tâchez d'avoir ce bulletin, il me le faut, de façon à imiter les cachets qui sont dessus. Promettez au directeur qu'on le lui rendra le jour même, en lui disant qu'il sera couvert, et qu'il n'a rien à craindre s'il se montre compréhensif. «Mme Lamarque a obtenu le bulletin, qui portait le faux nom donné à Hendaye par Florentino, avec la date d'entrée à l'hôpital de Bayonne, et le cachet de la Ges­tapo. Mon fils, «Freddy le faussaire », avait fait école, si bien que notre ami Jules Mendiburu - qui est devenu depuis commissaire de police à Biarritz si je ne me trompe, preuve que l'art du faussaire mène à tout! - a réuni les cachets que mon mari avait chipés un peu partout dans

les bureaux allemands et qui, comme celui de la Gestapo, portaient l'aigle avec la croix gammée. Utilisant une machine à écrire dont les caractères ressemblaient très fort à ceux qui figuraient sur le bulletin, nous en avons fait un nouveau, laissant la date en blanc, et Mme Lamarque a rapporté au directeur le vrai bulletin. Il s'agissait maintenant de trouver un moyen sûr de tirer Florentino d'affaire.

« Je suis repassée en Espagne, où j'ai contacté «Timo­thy ». Celui-ci m'a informée qu'il avait remis de l'argent à des contrebandiers pour qu'ils assurent l'évasion de Florentino. «Ah non, par exemple! ai-je dit. Laissez ces gens-là de côté! C'est à cause de leur couardise que Florentino a été pris, et je sais qu'ils ont déjà fait main basse sur les affaires qu'il a laissées en Espagne. Nous allons opérer par nos propres moyens.»

«Revenue à Anglet, j'ai revu Mme Lamarque. «Je connais personnellement le docteur qui soigne Florentino, m'a-t-elle déclaré. Il m'a informée que sa jambe est sous un cerceau afin d'empêcher le frottement du drap, car il ne l'a pas encore plâtrée afin d'empêcher les Allemands de le sortir de l'hôpital de Bayonne. Mais il se trouve devant un cas de conscience, car si Florentino reste dans cet état, il aura une jambe plus courte que l'autre. »

« Nous avions pressenti les F.F.I. (1) de la région, leur faisant simplement savoir qu'il s'agissait de transporter en lieu sûr un blessé abattu dans la montagne, mais ils s'agitaient un peu trop, risquant d'alerter les Allemands, et mon mari a fait prier leur chef, le commandant Passicot, de leur donner l'ordre de se tenir tranquilles. Accom­pagnant Mme Lamarque, je suis allée à la chambrée où se trouvait Florentino, paraissant ignorer la présence de celui-ci, et me suis assise avec Mme Lamarque au chevet d'un tout jeune paysan qui devait subir une intervention chirurgicale, puis d'autres malades. J'ai pu ainsi jeter un coup d'œil vers Florentino, qui m'avait tout de suite reconnue, mais il ne l'avait pas montré, semblant tout-à-fait inerte, les yeux obstinément fixés au plafond.

 

(1) Sigle des Forces françaises de l'intérieur.