LA RESISTANCE A LA PLACE LAMOTHE

 

Mlle Léontine Danglade tenait à la Place Lamothe un bureau de tabacs-épicerie venant de ses parents, tandis qu'une 2ème pièce, dans le fond, servait de lieu de réunion où les clients jouaient aux cartes en se désaltérant.

« Léontine », ardente patriote, ressentait une peine immense en entendant les tristes nouvelles qui fil­traient, mais cette peine unie à son courage l'incitèrent  à faire œuvre utile au lieu de gémir. Ainsi étaient ceux de la Résistance. Vêtue de son éternel sarrau gris, elle servait de boîte à lettres, transportant le courrier reçu sur sa bicyclette 1900 à la barbe de l'occupant, risquant sa vie à chaque coup!

Elle avait comme locataire, au Brun, car sa maison était pleine de réfugiés résistants, depuis que la Belgique avait été envahie, M. Albert Johnson qui accompagnait le Comte de Baillet-Latour, Président des Jeux Olympiques. Son nom de guerre était « BE », car ce n'était pas le moment de décliner son identité et le Maire, M. Dommain lui avait fourni une carte d'identité au nom de M. Jonion. Dès que le Colonel Rémy mit sur pied son réseau « Comè­te », M. Jonion lui servit de livreur car il fallait bien nourrir les réfugiés et les résistants logés chez Léontine et dans la villa « Voisin » située non loin, qui ont été jusqu'à 15 ! Très cher à tous, on le voyait balayer le magasin ou pousser la tondeuse chez Léontine.

Si on se reporte à cette époque de misère, on ne peut que se deman­der comment ce problème était résolu, il y avait notamment dans cette villa la famille belqe de Greef, amie de M. « Be ». M. de Greef, qui connaissait parfaitement l'allemand, prenait la place du Maire pour traiter avec les occupants et avait ainsi une bonne couver­ture. Léontine, elle-même avait sa maison pleine et surveillait étroitement la route lorsque « Be » portait les pro­visions à la « Villa d'Anglet » (elle était connue sous ce nom par tous ceux qui passaient la ligne, ce qui la situait).II ne s'agissait pas, en effet, de se laisser pincer si près du but, après tant d'efforts.

Un jour, un colonel allemand, pavoisé de toutes ses décorations, se présente chez elle, demandant à visi­ter sa maison, car il avait 14 soldats à loger. Il n'y avait pas une pièce libre! Mais, sans se démonter, elle s'excu­se de ne pouvoir le satisfaire, ayant plusieurs clients à servir dans son épicerie . Bien! dit l'Allemand, « je vais attendre! » Sans se troubler davantage, elle va dans la pièce contiguë et prévient tout son monde de filer par le jardin, ce qui a été vite compris ! Ce sont, je pense, des moments qu'on n'oublie pas. Et, en partant, l'Officier la prévint qu'elle aurait dorénavant 14 hommes à loger le jour et 14 la nuit, par roulement. Il fallut bien s'exécuter en pensant qu'à chaque instant, elle était susceptible de recevoir un nouvel « enfant ».

Voilà un convoi prêt à se diriger vers l'Espagne: Convoyeur, passeur et le ou les « enfants ». La route était périlleuse, à chaque instant on risquait de rencontrer une patrouille, les Allemands se trouvant partout chez eux. Tous les voyages se faisaient de nuit, ce qui donnait plus de sécurité mais compliquait les choses. Il faisait froid; le vent glaçait, empêchait d'avancer. On s'arrêtait un mo­ment, puis on repartait, en file indienne, touchant celui qui précédait, de crainte de s'égarer. Les chutes étaient fréquentes, surtout dans la montagne, quelquefois graves, ce qui causait de nouveaux problèmes. Le jour, on trouvait asile dans les relais des fermes basques, si accueillantes, où l'on se reposait et se réconfortait et, la nuit venue, on repartait.

Enfin, voilà la Bidassoa tant désirée, qu'il fallait tra­verser dans de telles conditions. Andrée de Jongh, dite Dédé, jeune fille que son père appelait « mon petit cyclone », passait souvent la ligne avec les «enfants». Un jour, elle fit traverser la Bidassoa 12 fois à des Anglais et à des Belges. Ne gardant sur elle que le strict nécessai­re, elle entrait dans l'eau froide, tirant un filin qu'elle attachait à un tronc d'arbre sur la rive opposée, puis reve­nait chercher «un enfant» dont elle soutenait la tête hors de l'eau, aidée par un pneu. Et cela 12 fois! Mais son seul souci était de penser que s'ils étaient pris dans cette tenue (les hommes étaient nus) ils feraient bonne mine! Elle ne manquait pas de cran!

Mais on n'était pas encore en Espagne! Il fallait traverser ces montagnes qu'on voit de chez nous avec tant de plaisir: c'était un autre problème quand il fallait passer de l'autre côté! En Espagne, un passeur attendait le convoi, un Basque-Espagnol, connaissait les chemins comme pas un. Il s'appelait « Florentino» et on pouvait avoir confiance en lui, l'écouter et le suivre. Il recevait ces gens harrassés de fatigue et, de temps en temps, allait vers des troncs d'arbres de lui connus, d'où il tirait des bouteilles de gros rouge et de rhum pour les récon­forter, car ils en avalent bien besoin, n'entendant de lui que le mot de « monter »... « monter »… La descente était pire parce qu'on trébuchait. Florentino! Pas un de ceux

qui ont passé la ligne ne l'a certainement oublié! On couchait dans les fermes hospitalières pour repartir à la nuit tombée, pour plus de sécurité. Oui, les fermes basques, pour leur sécurité, leur honnêteté, les contrebandiers, pour leur ravitaillement, les passeurs pour leur courage et leur mépris du danger, tous ont droit à notre reconnaissance.

Mais, hélas! tous ceux qu'on connaissait à Anglet n'ont pas réussi à repartir chez eux, tels entre

Autres : Frédéric de Jongh et Robert Ayle, fusillés au Mont-Valérien, le Baron J. Greindl, tué dans un bombarde­ment à Bruxelles où il était prisonnier avec sa jeune fem­me, Jean Ingels, surnommé de Gand, fusillé au Tir Natio­nal de Bruxelles, le baron Donny, fusillé à Stuggart, Char­les Morelle, dit Charlie et Eugène Dumon, morts en dépor­tation...

Dans la si belle et touchante conférence qu'il fît à Bayonne au Cinéma Pax, dont j'ai parlé plus haut, à laquelle assistaient de nombreux passeurs, logeurs et acteurs de cette époque héroïque, le Colonel Rémy a mentionné le nom de «Léontine DANGLADE » et de tous ceux qui, avec tant de courage ont risqué la mort, jour après jour, pour que la France vive. Honneur à tous!

Réunissant tous ces héros dans un même geste bien émouvant, il appela FLORENTINO sur l'estrade et là, devant tous, il lui donna l'accolade. Ce fut un tonnerre d'applaudissements.

          « Léonie DANGLADE » est morte à l'âge de 82 ans, après avoir marqué de sa personnalité la vie de son quartier et de sa commune en donnant la mesure de l’amour qu’elle portait à son pays lit-on dans l’article du journal qui relate son décès. Qui pourrait dire mieux ?